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La lisière, potentiel d’accueil
des nouveaux espaces publics de débat

par Pierre Mahey
paru dans "Les annales
de la recherche urbaine"
N°82 - mars 1999

 

Conseils de Quartiers, Comités d’Habitants, Ateliers de Travail Urbain, Forum pour la Ville, Assises de la Démocratie, les tentatives de renouveler le mode d’interpellation des habitants dans la gestion urbaine sont multiples. Mais les expériences des années 70/80 nous ont appris qu’il ne suffit pas de “décréter la participation” pour que celle-ci s’instaure naturellement. Nous devons faire œuvre de méthodologie, de technique de conduite de projet, de construction de ces nouveaux espaces publics de débat.

Mobilisation et représentativité restent les questions majeures sur lesquelles nous devons apporter des réponses. La demande est multiple. Beaucoup d’élus sont déçus de leurs rapports aux habitants : continuellement sollicités pour faire des réponses au coup par coup sur les petits dysfonctionnements de la vie quotidienne, ils n’ont que rarement les moyens de débattre des grandes thématiques qui font la vie en ville et sur lesquelles doit se déterminer une politique. Les habitants sont déçus de la distance qui s’instaure entre leurs élus et eux mêmes, inquiets de ne pas être écoutés. Mais comment construire les lieux de rencontre, d’échange et de débat qui les réconcilient ?

Simplement, comment permettre aux habitants de se mobiliser ? Les expériences de la politique de la ville ont montré l’évidence de la proximité, l’efficacité du porte à porte et l’importance de la montée d’escalier pour mobiliser les “sans voix” qui hésitent à se rendre aux réunions publiques. On a vu aussi l’importance de croiser les échelles de territoire jusqu’aux plus globales si l’on voulait se défendre des effets de “NIMBY”, de repli sur soi et de défense de proximité, comme l’importance de croiser les thématiques sous peine de produire des projets monofonctionnels producteurs d’exclusion et incapables d’évolution dans le temps.

Où trouver, dans la ville contemporaine, les espaces d’accueil du renouvellement de la démocratie, qui permettent de mettre en jeu des échelles de territoire qui n’enferment pas les quartiers sur eux mêmes et cependant qui soient accessibles au plus grand nombre d’habitants ?

A suivre les habitants, à les écouter parler de leurs usages et leurs représentations de leur ville, on est obligé de remettre en cause la notion même de quartier, autocentré sur le lieu d’habitat. On travaille loin de chez soi, les enfants vont à l’école sur le parcours, on fait ses courses en choisissant la grande surface, même lointaine, qui fera la meilleure réduction sur une eau minérale... Très vite, c’est la notion de “zone d’influence” liée à des centralités multiples et évolutives qui prédomine et le parcours devient structurant.

Si les grandes avenues de nos centres villes anciens sont les lieux de centralité des quartiers qu’ils traversent, leur rôle en périphérie s’inverse : elles constituent les limites des quartiers qu’elles bordent. N’appartenant à aucun territoire désigné, elles ne sont que des espaces résiduels, voués à la circulation automobile, sans appropriation des habitants.

Sauf peut-être par quelques groupes de jeunes à mobylettes, qui s’attendent au carrefour, se préparant à descendre en ville, mais finalement, restant là, à surveiller le monde des passants pressés de rentrer au quartier, indifférents à l’incohérence de ce lieu qu’ils fréquentent pourtant quotidiennement.

Nous sommes en lisière. Au bord. Aux limites. A l’orée. Cet espace qui n’est ni la forêt, ni la plaine, encore à l’ombre des arbres mais déjà prairie. Ce lieu sans épaisseur qui n’est jamais un refuge mais toujours un point de départ ou de passage. Les règles du jeu changent et s’y confrontent. C’est là que le plus grand nombre de vivants se côtoie, les mouches et les moustiques s’y concentrent, les grands animaux épient, même les champignons y sont plus nombreux.

Boulevards-glacis hors d’échelle, parkings-océans de bitume noir, friches industrielles, canaux infranchissables, anciennes voies ferrées, forts abandonnés, nos banlieues regorgent de ces espaces de lisière aux images bien souvent désastreuses. On parle de fracture urbaine, de coupure, on désigne ces lieux comme responsables de l’enclavement des quartiers d’habitation. Notre imagination créatrice, qui réinvente la place, la rue, le square, la porte et tous les éléments constitutifs de la ville, est en panne devant ces lieux.

Or, ces espaces, s’ils n’ont pas a priori de valeur pour un devenir tout tracé dans un urbanisme de profit foncier, portent en eux une disponibilité, constitutif fondamental de l’espace public urbain. De nulle part et donc considérés comme à personne, ils peuvent facilement devenir les espaces de tout le monde. Les jeunes, ceux qui n’ont pas encore leur lieu, ne s’y sont pas trompés. Ni les logiques commerciales de la grande distribution. Investir un espace vu de loin par tout le monde. Pouvoir y rester sans qu’on vous questionne sur votre présence. Y voir les autres et s’y montrer. Et quand les apprentissages de la vie sociale dans le quartier sont établis sur l’affirmation d’une culture commune affichée comme un laissez-passer, c’est l’initiation au camouflage qui se joue à la lisière, l’apprentissage de l’anonymat, de la capacité à se fabriquer un visage, un comportement, une identité acceptable pour les autres. L’apprentissage de la politesse, de l’urbanité finalement ?

Bien mieux que la place, la maison de quartier, le centre social ou l’école - ces équipements implantés selon un urbanisme nombriliste - et pourtant dans un rapport de proximité qui permet à chacun de s’y trouver naturellement en rentrant chez soi, la lisière ne serait-elle pas le lieu d’accueil et de développement de la nouvelle démocratie urbaine ?

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